Que vous évoque la thématique 2023 du Forum Economique Breton, "Réinventer les modèles pour une croissance régénératrice" ?
Réinventer les modèles, oui, c’est une évidence car le modèle actuel, thermo-industriel, basé sur l’augmentation infinie de la consommation et de la production, est en train de rendre la Terre invivable.
Je suis moins à l’aise avec l’oxymore « croissance régénératrice » qui, comme la croissance verte ou la neutralité carbone, laisse à penser que l’on peut continuer à croître, qu’il suffit de compenser les externalités négatives. Arrêtons de nous payer de mots : on ne pourra pas conserver notre mode de vie occidental et de nombreuses activités vont devoir décroître. L’efficacité énergétique, l’électrification, les éoliennes ou encore les projets de régénération sont souhaitables, mais uniquement dans le cadre d’une transition vers une société de la post-croissance, basée sur la sobriété, l’innovation frugale et l’économie du partage et de l’usage.
Quant à la compensation et à la régénération, bien-sûr, ces projets, s’ils sont efficaces et mesurables, sont les bienvenus mais n’oublions pas que la hiérarchie de l’atténuation, il s’agit d’éviter et de réduire, avant de restaurer et de compenser. Ces projets ne doivent pas être l’arbre qui cache l’absence de forêt.
Quelles possibilités peuvent ouvrir les nouvelles technologies comme l'Internet des objets, le machine learning ou l'intelligence artificielle ?
Avant toute chose je voudrais souligner le fait que chez LACROIX nous ne croyons pas au technosolutionnisme. Comme le GIEC, nous sommes convaincus que la technologie a un rôle essentiel à jouer dans la transition écologique, mais à condition qu’elle puisse faire la démonstration de son utilité et qu’elle soit écoconçue.
Les technologies que vous citez, l’internet des objets, le machine learning et l’IA sont appelées à se développer dans le futur. Parce qu’elles peuvent nous permettre d’aller plus vite, d’être plus efficaces et de déployer les solutions à grande échelle, elles ont un rôle crucial à jouer dans la transition écologique. Plus nous parvenons à mettre ces technologies au service de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique, de la préservation de la biodiversité et des ressources naturelles, plus nous serons à la hauteur des enjeux et de l’urgence. Si au contraire nous les utilisons pour prédire les futures tendances de la mode, optimiser le trading ou fabriquer des pantoufles connectées, alors ces nouvelles technologies ne répondront pas aux enjeux sociétaux et environnementaux qui s’imposent à nous
Pouvez-vous nous donner des exemples de projets réalisés par le groupe Lacroix dans le domaine de la ville intelligente ?
Nos activités Environment et City conçoivent et fabriquent des équipements électroniques connectés et de l’IoT industriel pensés pour limiter la consommation d’énergie et d’eau, et pour optimiser les flux dans l’espace urbain.
Deux exemples :
- PrioV2X, une solution type V2X destinée aux collectivités et aux régies de transports en commun, qui donne la priorité au transport public grâce à la régulation en temps réel des feux aux intersections. Testée sur une ligne de bus électrique opérée par la RATP, la solution a permis de diminuer de 25% le temps de trajet.
- Aquawize est une solution logicielle basée sur l’IA. Elle analyse et détecte automatiquement les anomalies de façon précoce sur les réseaux d’eau. Véritable outil de prise à la décision, elle permet l’économie de centaines de milliers de m3 d’eau et des gains significatifs de temps et d’énergie pour la production d’eau potable.
Comment l'innovation peut-elle permettre de mieux contrôler l'utilisation des ressources, et in fine d'aller vers plus de sobriété énergétique ?
L’innovation commence avec l’observation. Nous partons des usages et des enjeux sociétaux actuels pour proposer des solutions adaptées et efficaces.
Laisser un éclairage allumé quand il n’y a pas de passage, c’est du gâchis. Avoir un taux de fuite moyen de 20% dans le réseau d’eau potable en France, c’est pareil, c’est absurde. A partir de ces constats, nos équipes innovation et R&D conçoivent des solutions simples et robustes. Pas plus de technologie qu’il n’en faut, pas plus de matières ou d’énergie que nécessaire, c’est le concept de « juste technologie », qui nous est cher.
Mais cet impact net positif, entre les bénéfices apportés par nos solutions et leur empreinte, nous voulons être en mesure de le démontrer. C’est pourquoi nous construisons actuellement un cadre méthodologique de quantification des bénéfices environnementaux et sociaux de nos produits, notamment les émissions de GES évitées, mais aussi l’énergie et l’eau économisées.
Pouvez-vous nous présenter ce qu'est l'industrie 4.0 ? Est-ce une industrie plus durable ?
Sur le papier oui, car c’est un mode de production industrielle qui tend à mieux ajuster la production à la demande, à optimiser la quantité d’énergie et de ressources utilisées, à améliorer le fonctionnement des machines et à les faire durer plus longtemps… C’est une industrie plus sobre et plus efficace.
Pour prendre un exemple concret, notre nouvelle usine 4.0 Symbiose, inaugurée en septembre 2022 à Beaupréau-en-Mauges, génère des émissions de GES 2,5 fois moins élevées au m2 que notre ancienne usine de Saint-Pierre Montlimard.
Mais attention, comme je le mentionnais en introduction, l’utilité des produits qu’on fabrique est essentielle.
Comment proposez-vous de lutter contre la pollution numérique ?
Pour réduire au maximum la pollution numérique, nous travaillons sur l’éco-conception de nos produits. Concevoir des solutions éco-efficientes, c’est le 2ème des 4 engagements de notre stratégie d’impact positif. Pour cela nous travaillons sur deux axes :
- L’éco-conception du hardware, le produit physique : utiliser le moins de matière vierge possible, intégrer des matériaux recyclés, réduire la consommation d’énergie de nos produits, fabriquer des équipement réparables et recyclables…
- L’éco-conception digitale.
De plus en plus de nos produits sont connectés, nous essayons donc de choisir des protocoles d’échange des données plus sobres, comme le edge computing, de réduire la quantité de données stockées, de choisir des datacenters qui utilisent de l’énergie renouvelable…
Nous sommes en train de structurer une démarche très ambitieuse sur le sujet, avec la volonté d’être reconnus en 2025 parmi les plus avancés en matière d’écoconception sur nos marchés.