Forum Economique Breton 2024

VALÉRIE FRENEAT, MANPOWER FRANCE ET ANGELIQUE GOODALL, FRANCE TRAVAIL BRETAGNE Travailler demain : à quoi faut-il s'attendre ?

Valérie Freneat, directrice région ouest de Manpower France et Angélique Goodall  directrice régionale de France Travail Bretagne .
Demain n'a jamais été aussi incertain. Pourtant, les entreprises doivent continuer à s'adapter pour rester attractives et compétitives dans un monde où les talents sont de plus en plus exigeants et les dynamiques du marché du travail en pleine mutation. Dans cette interview, deux visions du futur du travail se croisent et se retrouvent : celle de Valérie Freneat, directrice région ouest de Manpower France, et celle d'Angélique Goodall, directrice régionale de France Travail Bretagne. 

Quelles sont les perspectives et les opportunités de l'entreprise demain ? Quelles solutions pour attirer, fidéliser et engager durablement les collaborateurs ? De l'importance de la culture d'entreprise, à la responsabilité sociale, en passant par l'intégration des nouvelles technologies et la formation continue, cette discussion offre un aperçu complet des transformations nécessaires pour répondre aux exigences du marché actuel et futur. Entretien.


L’attractivité pour une entreprise est hautement stratégique dans un contexte où les talents se font de plus en plus exigeants : comment développer son attractivité pour séduire et garder les collaborateurs aujourd’hui ? 
Valérie Freneat : Développer l'attractivité d'une entreprise est une priorité stratégique dans un marché du travail où les talents sont de plus en plus exigeants. La culture d'entreprise joue un rôle essentiel en matière d’attractivité, en favorisant l'engagement, la motivation et le bien-être des collaborateurs, ce qui contribue à les fidéliser sur le long terme. Nous devons garder en tête la nécessité d’investir dans le capital humain pour continuer à attirer durablement les salariés. En région Ouest, nous y travaillons notamment avec France Travail, par exemple sur notre laboratoire autour des métiers de l’Agroalimentaire. Nous développons également l’accompagnement pour un retour à l’emploi de publics plus éloignés (par exemple, l’expérimentation RSA sur le bassin d’emploi ou notre opération « Recruter autrement en QPV » ou encore « Recruter par le sport et ses valeurs »). Et nous participons notamment à l’opération « du stade vers l’emploi » qui consiste en une animation sportive qui rassemble demandeurs d’emploi et recruteurs, qui se rencontrent par la suite en entretiens plus formels. 

Angélique Goodall : Pour être attractive, l’entreprise doit se faire connaître. Il est extrêmement important qu’elle ouvre ses portes au public, fasse découvrir ses activités afin de donner envie, de créer des vocations et de casser les représentations que chacun peut avoir sur l’autre. C’est dans cet esprit que France Travail a créé les "Semaines thématiques". Des semaines entièrement dédiées à un secteur, durant lesquelles toutes les agences du territoire, voire du pays, les fédérations professionnelles et les partenaires concentrent leurs forces et organisent des événements qui permettent de mettre un coup de projecteur sur les entreprises et les emplois d’une filière : numérique, agroalimentaire, agriculture, santé, transport, bâtiment, etc. « L’immersion facilitée » que France Travail promeut est également une bonne solution pour faire découvrir son activité, créer du désir, et rencontrer des profils que les entreprises n’auraient peut-être même pas accueillis lors de sessions de recrutement classiques. Outre la nécessité d’attirer les candidats, l’entreprise doit désormais travailler sur leur « fidélisation » qui passe aussi par une réflexion autour de la marque employeur. La responsabilité sociétale des entreprises (RSE), l’image, la réputation, sont aujourd’hui extrêmement importantes pour faire valoir une identité et un sentiment d’appartenance qui est devenu un argument pour convaincre candidats et salariés à intégrer et/ou évoluer au sein d’une entreprise. 


Big resignation, Quiet quitting… Comment réengagez durablement les collaborateurs face au changement de rapport au travail ? 
Valérie Freneat : De nombreuses entreprises restent confrontées à des pénuries de main d'œuvre importantes et à des taux de turnover historiquement hauts. Le salarié de 2024 veut évoluer dans une entreprise qui s’engage à le faire progresser dans sa carrière, à préserver son bien-être, et à défendre des valeurs en phase avec les siennes. L’hyperpersonnalisation est devenue une réalité en entreprise, mais les talents et les organisations peinent parfois à s’aligner. Des programmes d’intégration sur mesure aux modules de formation personnalisés, l’expérience collaborateur se réinvente pour proposer à chacun un traitement « à la carte ». Chez Manpower, c’est via notre programme MyPath® d’accompagnement des Talents que nous pouvons proposer cet accompagnement à nos candidats. Preuve de notre engagement, en région Ouest, ce sont près de 10.000 Talents accompagnés via notre programme, dont 2200 en CDI-intérimaire. Notre programme vise aussi à épouser les attentes différentes d’un candidat ou d’un salarié tout au long de sa vie et ainsi à proposer un « Mix » de contrats de travail selon ses besoins. 

" D'UNE LOGIQUE DE SELECTION A UNE LOGIQUE DE SEDUCTION"

Angélique Goodall : Ces concepts, souvent très médiatiques, sont à prendre avec précaution dans notre pays. En revanche, il est indéniable que la période COVID et l’embellie économique qui s’en est suivie, ont généré des modifications de comportements dans la relation au travail. Dans une période où le taux de chômage breton est le 2ème plus bas de France (6,1%) , nous constatons que des entreprises peinent à recruter mais également à conserver leurs talents. Nous observons des prises de risque parmi les salariés, et pas uniquement les jeunes gens, qui décident de se reconvertir et/ou de se mettre à leur compte pour être plus autonomes dans leurs choix de vie professionnelle. J’ignore si ce mouvement perdurera selon l’évolution du marché de l’emploi mais il est indéniable que les entreprises doivent travailler sur leur attractivité mais aussi sur l’intégration et l’accompagnement de leurs salariés. Les entreprises doivent passer d’une « logique de sélection à une logique de séduction ». Celles qui réussissent à recruter durablement sont celles qui ont fait le choix de s’ouvrir à de nouveaux profils, de promouvoir des valeurs en cohérence avec la transformation de notre société, de les former et de les accompagner pour être dans un deal « gagnant-gagnant ». Les entreprises doivent apprendre à recruter autrement, ne plus sélectionner sur des CV mais sur des « savoir-être », être en capacité de partager de l’humain avant la compétence. 

L’IA et l’innovation sont en train de chambouler le monde du travail, comment ces technologies vont s’intégrer dans notre quotidien selon vous ? 
Valérie Freneat : La plupart des métiers sont et seront concernés par le développement exponentiel de l'intelligence artificielle, comme ils l'ont été par la révolution technologique de ces trente dernières années. L'IA devrait être plus créatrice que destructrice d'emplois, à condition de bien s’y préparer, et les progrès technologiques offriront aux salariés la possibilité d’effectuer des métiers plus utiles, à condition qu’ils disposent des compétences adéquates. Alors que les entreprises apprennent à s’adapter et à évoluer en même temps que l’IA, l’avenir appartient bien à l’humain, qui va monter en compétences et apprendre à faire des nouvelles technologies un allié, à condition qu’ils disposent des bons moyens pour s’y former. En matière D’IA générative, nous identifions par exemple les situations de travail liées aux fonctions supports, aux centres internes de service et au réseau de Manpower. Pour l’automatisation, nous avons depuis plusieurs années mis en place des programmations automatiques (robot Marco) pour gagner encore plus en sécurisation d’actes administratifs et contractuels et bien sûr en gain de productivité. 

Angélique Goodall : Elles sont déjà là ! L’IA est porteuse d’opportunités formidables. Bien sûr, elle fait peur. Comme toutes les révolutions - et avant elle celle de l’imprimerie ou de l’industrie - elle transformera notre économie et la société tout entière. Ce sont des changements radicaux qui s’opèrent et contre lesquels nous ne devons pas résister. Il est plus que jamais nécessaire de former, d’éduquer et d’accompagner pour éviter un réflexe naturel de réticence face à l’inconnu. Chez France Travail, le sujet de la data et de l’IA est pris en compte depuis de nombreuses années. Nous avons lancé des programmes dès 2018 afin de travailler sur ce sujet. La transformation de notre établissement est passée par une appropriation remarquée tant en interne auprès de nos collaborateurs que vis-à-vis de l’externe dans l’offre de service déployée. Nous pensons que l’intelligence artificielle et l’exploitation des données sont des leviers indispensables pour améliorer le service rendu aux usagers, en particulier pour faciliter le retour sur le marché du travail des demandeurs d’emploi et la réponse adaptée aux attentes des employeurs. L’IA n’est pas là pour remplacer, mais bien pour assister. L’arrivée de l’IA générative, popularisée par ChatGPT ou Midjourney, est une nouvelle opportunité pour France Travail de proposer des outils qui viendront aider nos agents et leur permettre de rendre un service efficient et ainsi nous concentrer sur la relation humaine qui est notre valeur ajoutée. 

La formation est clé pour le développement des compétences et crée les métiers de demain, comment accompagner les entreprises dans ce process ? 
Valérie Freneat : Chez Manpower, nous sommes convaincus que c’est par la montée en compétences et la formation de tous les talents que nous pourrons tendre vers le plein emploi. Favoriser le développement de nouvelles compétences, c'est accompagner les entreprises pour assurer leur croissance, mais c’est aussi accompagner les candidats dans une employabilité plus durable. En résumé, relever le défi des compétences : c’est de cette manière que nous maintiendrons l’attractivité de la France. En 2023 dans le grand ouest nous avons formé 6800 intérimaires, dont 1800 en Bretagne, pour des finalités d’accès à l’emploi, de sécurité ou encore de professionnalisation. Mais au-delà, le sujet est celui du potentiel : être capable d’identifier des compétences encore non mobilisées. C’est le sujet notamment de dispositifs que France Travail met en place : Atelier de détection de potentiels ou encore MRS (méthode de recrutement par simulation). Nous avons testé la puissance de ces méthodes, par exemple avec un atelier de détection de potentiel en agroalimentaire en 2023 en Bretagne (lab iAA). 

"LE DEFI DE LA TRANSITION ECOLOGIQUE SE GAGNERA LUI AUSSI PAR L'ACCES AUX COMPETENCES" 

Angélique Goodall : France Travail accompagne depuis longtemps les entreprises dans le développement des compétences des candidats et propose des solutions pour la formation aux métiers, notamment émergeants. Bien évidemment, nous travaillons main dans la main avec le Conseil régional sur le sujet. La formation relève bien de la compétence de la Région mais notre collaboration, étroite et efficace, nous permet ensemble de co-constuire des campagnes cohérentes en réponse aux besoins du notre territoire. C’est notre connaissance partagée des projets économiques, des besoins des entreprises ainsi que des compétences disponibles ou non sur le marché qui nous permettent d’anticiper les évolutions métiers et de définir un programme de formation pertinent pour la région. En outre, nos dispositifs évoluent également. Avec le dispositif de la préparation opérationnelle à l’emploi (POE), les demandeurs d’emploi peuvent suivre une formation dans l’entreprise ou en externe, avant embauche, et même bénéficier d’une période de tutorat. Aujourd’hui, la POE peut représenter jusqu’à 600 heures de formation ! C’est un outil extrêmement efficace pour accompagner vers l’emploi et dans les évolutions des postes de travail, comme l’intégration de l’IA dans les activités professionnelles par exemple. J’engage les entreprises à solliciter leur conseiller France Travail afin d’élaborer avec eux les projets qui leur correspondent. 

Quel est l’impact et comment gérer la transition écologique sur l’humain et les compétences ? 
Valérie Freneat : La transition écologique suit son cours, et son impact est au cœur des préoccupations de chacun. Selon la ManpowerGroup Green Workforce Survey d’octobre 2023, 60% des salariés veulent voir leurs employeurs prendre des mesures claires et concrètes pour remédier aux problèmes environnementaux. Lorsque l’on parle de transition écologique et de son impact sur les métiers, ce sont 3 grandes familles de métiers que l’on analyse : les métiers verts, qui sont des métiers nouveaux, par exemple ingénieur en écoconstruction, ou des métiers liés au sujet de décarbonation. Ensuite, les métiers verdissants, qui sont les métiers qui existent déjà, mais qui nécessitent des compétences nouvelles en complément pour bien répondre aux enjeux de la transition écologique. Et enfin, les métiers vulnérables, qui sont des métiers en diminution et qui recruteront de moins en moins (comme la réparation et l’entretien de véhicule thermique par exemple). Ce sont des métiers sur lesquels il va falloir se transformer. Le défi de la transition écologique se gagnera lui aussi par l'accès aux compétences. 

Angélique Goodall : C’est une question complexe. Nous ne sommes qu’au début d’un puissant mouvement. Nous ne mesurons pas encore complètement les nombreuses conséquences et implications qu’il aura sur l’environnement professionnel. La nécessité de s’adapter s’impose à nous. France Travail a dans son ADN d’accompagner ces évolutions. Mais cette transition écologique ne va pas faire table rase du passé. Le secteur des énergies renouvelables en est une parfaite illustration. Il représente un grand défi industriel à relever d’ici 2030. Véritable vivier d’opportunités, avec les filières du solaire, de l’hydrogène décarboné, de la méthanisation, sans oublier l’éolien maritime et terrestre. Nous connaissons déjà les métiers et les compétences indispensables au développement de cette filière. Ce sont, entre autres, les métiers des secteurs de l’industrie, du bâtiment et des travaux publics. Pour la fabrication, l’installation et la maintenance d’éoliennes, il faut faire appel à des chaudronniers, des soudeurs, des câbleurs, des électrotechniciens, des terrassiers, ainsi qu’à des ingénieurs, des chefs de chantier, etc. Et les projets bretons qui intègrent la transition écologique sont nombreux. Nous pouvons penser à la nouvelle fonderie Safran qui doit ouvrir ses portes à Rennes et va mettre en place les meilleurs standards de performance énergétique grâce à de nombreux procédés innovants et l’optimisation des flux logistiques. Mais aussi de l’entreprise Blue Solutions (Groupe Bolloré) qui va fabriquer des batteries pour voiture plus performantes. Des activités de R&D avancées et une première ligne pilote doivent s’installer sur le territoire de Quimper. Tous ces projets vont se construire avec des métiers qui sont aujourd’hui en tension. A nous de répondre à ce défi. 

Comment voyez-vous l’avenir dans le monde du travail ? A quoi ressembleront les cinq prochaines années selon vous ? 
Valérie Freneat : Nous sommes déjà au cœur des mutations qui transforment durablement le monde du travail, comme elles l’ont déjà révolutionné par le passé : l’avenir du monde du travail est finalement déjà là. Les cinq prochaines années seront marquées par la digitalisation, la flexibilité, l'engagement sociétal, la collaboration et la diversité. La transition écologique sera la première source de création d’emploi dans le monde dans les cinq années à venir. La digitalisation et l'automatisation continueront de progresser à un rythme accéléré. Et en parallèle, nous continuerons d’assister à une évolution des modèles de travail et des modes d'organisation en lien avec les attentes des salariés. L’un des grands enjeux sera celui du « sur-mesure », tant sur le plan des spécificités des bassins d’emploi, des particularités des entreprises et du nécessaire accompagnement individuel des demandeurs d’emploi. En anticipant ces futures tendances et en investissant dans le développement des compétences et des cultures organisationnelles adaptées, nous pourrons saisir les opportunités et relever les défis de cet avenir en constante évolution. 

Angélique Goodall : Les défis sont nombreux, mais il faut aborder l’avenir avec enthousiasme. Nous vivons une période de transformation du marché du travail qui en a connu d’autres. D’ici 5 ans de nombreux emplois auront évolué. Certains auront disparu pour laisser leur place à d’autres. L’important réside dans notre capacité à tous de s’adapter à ces changements et à se former en permanence pour ajuster ses compétences aux évolutions. La Bretagne est un territoire dynamique qui a de nombreux atouts. France Travail avec sa transformation vise le plein emploi en 2027. A ce titre, nous avons lancé dans une série d’expérimentations avec nos partenaires qui dureront tout au long de l’année 2024 et qui vont irriguer notre projet pour nous permettre de construire ensemble des solutions efficaces et répondre aux besoins de nos publics demain.