Forum Economique Breton 2024

CORINNE PAILLET, ARKÉA Comment le numérique peut contribuer à l'amélioration de l'empreinte environnementale ?

Corinne Paillet, Référent Numérique Responsable au Crédit Mutuel Arkéa.
On oppose souvent sobriété et innovation, est-ce que vous êtes d'accord avec cette opposition ? 

Corinne Paillet, Référent Numérique Responsable au Crédit Mutuel Arkéa : Pas du tout, l’innovation peut aussi trouver des inspirations liées à des contraintes. Le domaine des Lowtech, c’est-à-dire le développement de solutions technologiques simples faisant appel à des moyens localement disponibles, est par exemple très imaginatif. Le numérique peut apporter des nouveaux usages permettant d’éviter des émissions, avec des services très utiles pour tous (par exemple le succès de la signature électronique des contrats). Il faut cependant veiller aux effets rebond pour que la valeur ajoutée extra-financière soit supérieure aux coûts environnementaux du numérique. 

Quel est le réel impact du numérique sur l'empreinte environnementale ? 

Corinne Paillet : Quand on parle Bilan Carbone ou Gaz à Effet de Serre, le numérique représente environ 4% des émissions globales au niveau mondial, soit l’équivalent du transport aérien, avec une forte tendance à la hausse. L’impact est aussi sur les minerais, le numérique ayant besoin d’un grand nombre de matériaux (70 composants pour un smartphone, dont 50 rares !). L’activité extractive induite nécessite beaucoup d'énergie, d’eau et de chimie : par exemple, il faut 1 tonne de terre pour avoir 6 kg de cuivre. Certaines terres rares ont des concentrations très faibles et l’accès à ces ressources peut générer des tensions et des conflits...

Comment peut-on concilier responsabilité individuelle et collective en matière de sobriété numérique ?

Corinne Paillet : La fabrication de nos équipements numériques (ordinateurs, écrans, imprimantes, smartphones) représentant les principaux impacts environnementaux, nous pouvons tous agir, aussi bien à la maison qu’au bureau. Limiter (en nombre et en puissance) nos équipements pour des usages strictement nécessaires, les faire durer plus longtemps, les ramener dans des recycleries ou points de collecte responsables, est à la portée de tous. Au Crédit Mutuel Arkéa, nous achetons du matériel avec des exigences de qualité et de réparabilité . Nous avons par exemple étendu la durée d’usage de nos ordinateurs portables, en faisant du réemploi en interne et en réparant quand cela était possible. Ensuite, nous cherchons à donner le matériel non utilisé à des associations pour une 2e ou 3e vie. Au niveau individuel, les collaborateurs sont sensibilisés pour prendre soin du matériel de l’entreprise et il n’y a pas de “course” au dernier modèle neuf. Nous avons également mis en place une politique groupe pour les équipements qui permet notamment de maîtriser notre parc d'écrans bureautiques et de répondre aux besoins strictement nécessaires par métiers. Enfin, nous avons aussi revu à la baisse notre parc de copieurs face aux constats de diminution de 55% du nombre d'impressions papier en 4 ans. 

Quel doit être le rôle spécifique des entreprises sur la sobriété numérique ? 

Corinne Paillet : Les entreprises, en particulier les entreprises à mission, peuvent avoir un rôle important de sensibilisation et d’exemplarité pour un bon usage des équipements de bureau mais aussi pour une gestion responsable des ressources des centres de données. Les Datacenters, qu’ils soient gérés directement par des grandes entreprises ou par les grands acteurs du Cloud (Amazon, Google, Microsoft, OVH) consomment beaucoup d’énergie et d’eau. Une gestion durable doit éviter les effets rebond négatifs. Nous pouvons tous être vigilants et exigeants pour avoir une bonne transparence des impacts de nos usages numériques. Les entreprises doivent veiller à mesurer les usages et “faire le ménage” des équipements sous-utilisés et des services inutiles. La sobriété numérique doit également prendre en compte les enjeux d’inclusivité, c’est ce que nous avons fait lors de la refonte du site internet du Crédit Mutuel Arkéa, en veillant à son impact numérique mais aussi à son accessibilité pour tous. Nous participons également au “Digital Cleanup Day” tous les mois de mars depuis 2022. Cette année, 777 retours d’ordinateurs, imprimantes ou écrans ont été comptabilisés pour tout notre groupe et 380 GO de données ont été nettoyées dans notre filiale Suravenir. Pour une entreprise, s’occuper de la sobriété numérique et d’éco-conception, c’est avoir moins d’équipements et de pages web, et donc cela permet des gains financiers, des gains de sécurité informatique et en qualité de service.

Comment le numérique peut-il s'articuler avec d'autres actions en faveur de l'amélioration de l'empreinte énergétique ? 

Corinne Paillet : Les nouveaux usages du numérique et le fort développement du télétravail dans notre secteur tertiaire ont permis de développer la mobilité des collaborateurs. On supprime progressivement les équipements fixes, ordinateurs, téléphones, imprimantes individuelles, qui consomment de l’énergie et on mutualise des moyens (salles de réunions, copieurs multifonctions). Cette mobilité numérique a des effets rebond positifs : 
- Mutualiser les espaces pour éviter de mobiliser des m2 et des équipements pour des bureaux inoccupés (télétravail, déplacements, congés…) ; 
- Au Crédit Mutuel Arkéa, nous avons mis en place une expérimentation appelée journées “Ecoflex” : les jours de faible présence sur site (vendredi, période congés), les collaborateurs peuvent se rassembler sur des étages. Ceci évite de chauffer ou climatiser 100% des bureaux si on a peu d’ effectifs présents et cela apporte aussi de la transversalité entre collaborateurs, un décloisonnement d’équipes ; 
- Les déplacements professionnels au sein du groupe ont radicalement basculé de l’avion vers le train, où l’on peut utiliser le temps supplémentaire de trajet pour travailler grâce aux PC portables généralisés.